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Jour 25 - Que le monde nous soit neuf chaque matin

Dec 25, 2025

Vingt-cinquième fenêtre du calendrier de l'Avent. C'est la nuit de Noël. Tout est calme, et l'on dit qu'il y a plus de deux mille ans, dans une humble étable — ou était-ce une grotte ? — à Bethléem, est né un bébé, comme il en naît si souvent. Mais pour les chrétiens, ce bébé était le Sauveur du monde.

Aujourd’hui, je vous invite à une réflexion qui n'est pas théologique. Je ne parle ni en croyant ni en non-croyant, mais dans une approche symbolique et neuroscientifique de Noël. Posons-nous cette question : qu'est-ce qui peut sauver nos âmes et le monde ? Quelle force en serait capable ?

L'amour qui sauve

C'est le mot amour qui vient d'emblée à l'esprit. Sans amour, il est impossible de vivre. Des bébés qui ne reçoivent que des soins techniques, sans affection, se laissent mourir. On ne peut vivre sans la grâce d'aimer et d'être aimé — et plus fondamentalement encore, sans avoir construit la conviction que nous sommes dignes d'être aimés, malgré nos erreurs et nos défauts. C'est là que se situe généralement la plus grande blessure.

Mais le mot amour est un malentendu — comme le mot Dieu. Les recherches de Newberg et Waldman ont montré que ces mots sont si riches, si puissant existentiellement, qu'ils invoquent des dimensions émotionnelles, cognitives, culturelles — toutes les expériences positives ou négatives que nous avons eu dans le cours de nos vies face à eux. Si nous prenons cent personnes, chacune a une définition profondément différente et personnelle des concepts de Dieu ou d’amour.

Dieu, c'est quand tu t'émerveilles

Ces concepts relèvent du symbole — une forme qui met en contact avec une réalité immatérielle, impossible à saisir de manière identique pour tous. Que nous soyons croyants ou non, nous pouvons peut-être nous accorder : Dieu symbolise le Sacré, la transcendance, mais aussi le meilleur en nous, le plus beau dont nous soyons capables — la liberté, l'authenticité, la capacité d'émerveillement, de bonté, de joie.

Maurice Zundel répondit un jour à un enfant qui lui demandait « C'est qui, Dieu ? » ce mot sublime : « Dieu, c'est quand tu t'émerveilles. » Non pas une personne (au sens humain), un concept ou une loi — mais cet état où l'on se fond dans plus grand que soi, dans un ressenti d'amour et de beauté.

Zundel disait aussi, très en avance sur son temps :

« Il n'y a pas de morale chrétienne. Il y a une mystique chrétienne.

L'immense majorité des chrétiens ne s'en sont pas aperçus...

Dans le Christ, il n'y a pas de loi.

Dans le Christ commence un régime nouveau, le régime de la grâce qui est le régime de la liberté, qui est le régime de l'amour

Il y a deux commandements, sur lesquels nous reviendrons, mais aussi cette idée répétée par saint Augustin : « Aime, et fais ce que tu veux. » Si tu aimes, tu n'as pas besoin de loi : tu ne vas pas voler, calomnier, piller, faire du mal. Car si tu nuis à autrui, c'est à ta propre dignité autant qu’au sacré que tu portes atteinte.

Nous vivons hélas dans un monde où règlements et lois sont venus encombrer un espace où la conscience aurait beaucoup mieux rempli ce rôle. Et plus il y a de lois et de règlements, plus on tend à perdre la conscience — puisque tout est organisé par un cadre extérieur.

L'Église elle-même a malheureusement fait de la religion un vaste corpus de lois et de prescriptions morales, alors qu'en réalité, il n'y a rien de tout cela dans l'Évangile, mais cette incandescente invitation à nous rendre capable d’un amour qui nous élève, qui nous guérisse de toutes nos blessures et nos peurs.

L'univers s'est réjoui de votre naissance !

Dans la symbolique de Noël, l'Enfant-Dieu est né, et le Ciel et la Terre s'en sont réjouis. Le chœur des anges et des bergers a entonné ce chant de célébration devant la naissance de l'amour en ce monde.

Alors j'ose cette question : et si l'univers tout entier s'était réjoui aussi profondément lors de votre naissance ? Car chaque être humain porte bien en lui l'infini de ce mystère, de ce mystère d'amour enclos au plus profond de nous-même.

D'après l'Évangile, il n'y a que deux commandements : aimer Dieu — le sacré, la vie, la beauté, ce qui nous émerveille — de tout son être, et aimer son prochain comme soi-même. Si le Christ — l'amour incarné,  pour les chrétiens— donne cette seule instruction, alors Dieu lui-même vous aime, vous qui êtes son prochain, d'un amour infini, sans limites, d’un amour fou.

Ainsi, la magie de Noël — ces images d'émerveillement, de joie et d'allégresse qui célèbrent la beauté, la bonté, et cette dignité infinie sertie au cœur de chaque être humain — a aussi résonné lorsque vous êtes né. Sinon, Dieu n'est pas Dieu, selon les termes mêmes de l'Évangile.

Bien sûr, Noël pour les chrétiens parle de la naissance du Dieu d'amour incarné, du Sauveur du monde et de nos âmes — parce que sans amour, nos vies, nos âmes et le monde dépérissent et meurent.

Mais Noël parle aussi de la naissance de tout être : de la nôtre, de la vôtre, de ce mystère d'amour infini serti au cœur de notre existence. Tout l'univers a donc aussi chanté et pleuré de joie lorsque vous êtes né. C'est une parole symbolique, certes. Mais saurons-nous l'entendre ?

Naître et renaître

Pour revenir aux neurosciences appliquées, nous avons vu, tout au long des vingt-quatre fenêtres de ce parcours, qu'il y a bel et bien en nous ce potentiel de sérénité, de compréhension, d'acceptation, de bienveillance, de tendresse, de joie, d’émerveillement et de liberté.

Nous avons aussi vu comment, souvent, nous nous piégeons — ou nous laissons piéger — dans la négativité, le jugement, la critique, le dénigrement, le rejet, la projection, conduisant au stress, à l'anxiété, à la dépressivité, au mal-être. Et comment, avec un peu de compréhension éclairée sur ce qui se passe en nous, de la bonne volonté et des stratégies toutes simples, nous pouvons nous remettre en chemin vers une version apaisée, authentique, capable de conscience et d’amour de nous-même.

Chaque fois que nous passons de la dissonance à la cohérence, du grincement à la bienveillance, c'est comme si nous renaissions à nous-mêmes. À chaque moment d'éclairement intérieur, à chaque saisissement face à la beauté ou la tendresse du monde, nous vivons une naissance. Notre vie quotidienne est ainsi parcourue de naissances et de renaissances.

Les enfants vivent dans une capacité quasi permanente d'émerveillement. Colette écrivait : « Le monde m'est nouveau à mon réveil chaque matin. » Zundel, à qui un prêtre demandait une bénédiction, répondit : « Que Dieu vous soit neuf chaque matin. » Peut-on adresser plus belle bénédiction que celle-ci ?

Il s'agit de lâcher nos bagages, nos blessures, ce que nous croyons savoir de nous-mêmes et dans quoi nous nous enfermons, pour « virginiser » notre regard - et que ce monde et le sacré de notre vie nous soient neufs chaque matin.

C'est exactement ce que font les stratégies neuro-positives que j'ai partagées avec vous. Vous en avez fait l'expérience : vous êtes anxieux, tendu, contrarié ; vous ruminez des ressentiments ou des scénarios catastrophes. Alors, vous prenez conscience de votre état, vous vous souvenez de soupirer, de bâiller, de vous étirez. Vous contemplez des motifs de gratitude ; vous souhaitez du bien à vos proches ou à des inconnus ; vous prêtez attention à votre corps ; vous prenez le temps de vous émerveiller — et vous voilà à neuf !

Ces pratiques concernent nos pensées, nos émotions, nos sensations, notre relation aux autres, nos valeurs, nos états intérieurs. Mais au fond, ce dont il est question, c'est de relation au sacré, de connexion au sacré de notre vie. C'est une des raisons pour lesquelles j'apprécie autant ces stratégies. Elles aident à vivre au jour le jour, certes — mais en allant à l'essentiel, en nous ramenant à l’essentiel, qui est d’être capables de paix, de joie et d’amour.

Un texte de Maurice Zundel

Zundel fut l'un des grands mystiques du XXᔉ siècle, longtemps incompris par son Église. Son évêque disait de lui : « L'Église n'aime pas les originaux, fussent-ils des saints. » Paul VI l'appela pourtant à prêcher au Vatican, le qualifiant de « génie mystique avec des fulgurations » et son œuvre connaît aujourd’hui un immense succès posthume au sein du catholicisme et au-delà.

Zundel voyait Noël comme ce moment symbolique et éternel où Dieu — l'amour, la beauté, l'émerveillement — cherche à naître en nous :

« La nuit de Noël, Dieu vient naître parmi nous, Dieu cherche à naître en nous. Il se peut que le grand problème de notre vie ne soit pas tellement de vivre, mais finalement de naître !

Car, nous ne sommes pas l’homme que nous paraissons être : célèbre ou inconnu, riche ou démuni, habile ou maladroit…. Tout cela c’est l’apparence des choses.

Nous sommes un homme qui cherche à naître.

Si tu sais en toi cette pulsation merveilleuse qui te porte à ne pas être aujourd’hui ce que tu étais hier, tu es en train de naître.

Si tu te sens aujourd’hui capable d’un amour tout neuf que tu n’espérais pas hier, tu es en train de naître.

Si tu te fais aujourd’hui tout-petit devant Jésus, pour te laisser conduire dans sa Lumière, tu es en train de naître.

Sois sûr que la plus grande chose de la vie ce n’est pas de vivre, c’est de naître constamment pour ne pas être vieux.

Puisses-tu garder de cette nuit la saveur d’une rencontre : la confiante et humble certitude que tu es appelé indéfiniment à être et tout autant, appelé à faire naître les autres.

Et voici qu’inlassablement, Noël après Noël, jour après jour, Dieu frappe à ta porte et demande à naître en toi ! »

Vous avez été très nombreux à suivre ce parcours - je vous remercie profondément de votre confiance et de tous vos retours si chaleureux.

Je vous donne rendez-vous demain pour une ultime fenêtre — qui n'est pas dans le calendrier de l'Avent, mais que nous ouvrirons quand même si le cœur vous en dit pour prendre congé.

Puisse le monde nous être neuf demain matin – et tous les autres matins de notre vie !