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Jour 20 - Trouver un sens à sa vie

Dec 20, 2025
La vidéo introductive figurant ci-dessus vous présente le contenu de la fenêtre du jour. Les vidéos d'approfondissement figurent quant à elles dans les programmes accessibles à l'aide du lien suivant : cliquer ici.

Viktor Frankl, un psychiatre autrichien fut déporté dans les camps nazis entre 1942 et 1945 où il perdit toute sa famille. Il fit au cœur de cet enfer une observation troublante : survivaient le mieux ceux qui préservaient un but – l'espoir de retrouver un proche, témoigner de l’horreur vécue à la face du monde,  reprendre une activité artistique ou simplement conserver la dignité dans leur manière d'affronter l'horreur.

Mais c'est après la guerre que l'intuition décisive surgit. De retour à Vienne, Frankl reçut dans son cabinet des bourgeois vivant dans le confort matériel qui se disaient profondément déprimés, voire désespérés, certains avec des idéations suicidaires – sans avoir vécu le millième de ce qu'il avait enduré en camp.

Ce contraste saisissant révéla une vérité radicale : la souffrance psychologique ne provient pas seulement de traumatismes ou de privations, mais d'un profond manque de sens dans la vie. Cette découverte devint le fondement de la logothérapie (du grec logos, "sens"), son approche révolutionnaire dont la validité scientifique, sept décennies plus tard, se révèle confirmée et complétée par la recherche moderne.

Le sens ne se trouve pas, il se crée

Des études longitudinales montrent que les personnes ayant un fort sens de raison d’être (sense of meaning and purpose) ont des niveaux significativement plus bas de dépressivité et d'anxiété – jusqu'à 35-43 % de risque réduit de développer une dépression – ainsi que des risques significativement réduits de mortalité prématurée, une meilleure fonction cognitive en vieillissant, et une résilience accrue face aux traumatismes. Le sens n'est pas abstrait – il se traduit en chimie cérébrale et en santé cellulaire.

Mais voici le paradoxe : vous ne pouvez pas « trouver » votre but comme on trouve un objet perdu. Le sens ne se découvre pas, il se crée – à travers vos choix, vos engagements, votre manière d'être au monde.

Détresse existentielle et volonté de sens

Frankl a proposé que les êtres humains sont fondamentalement animés par une « volonté de sens », un désir inné de trouver un but et une signification à leur existence. Sa proposition centrale était d'une simplicité trompeuse, mais profondément contestataire par rapport à la pensée psychiatrique conventionnelle : une grande partie de ce que nous appelons dépression, anxiété et détresse psychologique provient de ce qu'il a appelé le « vide existentiel », un sentiment d'absurdité, d'absence de but et de vide intérieur.

Il a observé que les patients qui venaient le consulter ne souffraient pas toujours de maladies mentales diagnosticables au sens traditionnel du terme. Ils étaient plutôt aux prises avec des questions fondamentales : quel est le sens de ma vie ? Pourquoi devrais-je continuer ? Qu'est-ce qui donne de la valeur à mon existence ?

Selon Frankl, cette détresse existentielle se manifestait de différentes manières : dépression chronique ne répondant pas aux traitements conventionnels, anxiété omniprésente, addiction, agressivité et ce qu'il appelait la « névrose du dimanche », ce sentiment de vide qui s'installe lorsque les distractions de la semaine de travail disparaissent et que l'on se retrouve seul avec soi-même.

Les trois piliers neurologiques du sens

Les neurosciences identifient trois circuits neuronaux distincts qui, lorsqu'activés simultanément, génèrent l'expérience du sens :

  1. Le circuit de la contribution (cortex préfrontal ventromédian)

Ce réseau s'active quand vous sentez que vos actions ont un impact positif au-delà de vous-même. Le sens émerge de la contribution, pas de la consommation. Votre cerveau est câblé pour ressentir de la satisfaction profonde quand vous servez quelque chose de plus grand que votre intérêt immédiat.

  1. Le circuit de la cohérence (cortex cingulaire antérieur et insula)

Ces régions, au cœur du réseau de saillance, détectent les conflits entre vos valeurs profondes et vos actions quotidiennes. Quand il y a alignement, vous ressentez de l'intégrité et du sens. Quand il y a dissonance, vous expérimentez du malaise existentiel. Le sens naît de la cohérence entre qui vous êtes et comment vous vivez.

  1. Le circuit de la transcendance (cortex pariétal et réseau du mode par défaut)

Ces régions vous permettent de vous connecter à quelque chose qui vous dépasse – que ce soit la nature, l'art, la spiritualité, ou une cause collective. Le sens requiert cette capacité à sortir de la conscience égoïque étroite (Jour 19) et à s'inscrire dans une continuité plus vaste.

Les cinq questions fondatrices

Je vous propose un protocole de clarification du sens basé sur cinq questions qui activent différentes zones du système de sens, à vous poser si votre intuition vous y invite avec douceur et bienveillance envers vous-même :

Question 1 : Qu'est-ce qui me mets le plus en joie profonde, en « état de grâce » ou me fait perdre la notion du temps ? Identifiez les activités où vous entrez naturellement en état de flow. Ces moments révèlent vos aptitudes innées et vos sources d'engagement authentique.

Question 2 : Quelle souffrance dans le monde me touche particulièrement ? Ce qui vous émeut, vous indigne, ou vous brise le cœur pointe vers votre zone de contribution potentielle. Votre sensibilité unique est une boussole.

Question 3 : Qu'est-ce que je veux que l'on dise ou retienne de moi après ma mort ? Cette perspective temporelle longue active votre cortex préfrontal dorsolatéral et vous libère des préoccupations immédiates pour révéler ce qui compte vraiment.

Question 4 : Si j'avais toutes les ressources nécessaires, à quoi consacrerais-je mes journées ? Cette question suspend temporairement les contraintes matérielles pour accéder à vos aspirations profondes. Souvent, la réponse révèle votre vocation cachée.

Question 5 : Camus nous a offert cette phrase lumineuse : « Qu'est-ce que le bonheur sinon l'accord vrai entre un être et l'existence qu'il mène ? » Regardez votre vie avec honnêteté et bienveillance, sans jugement – juste un constat compréhensif : dans quels domaines vous sentez-vous en accord avec vous-même ? Où, au contraire, ressentez-vous un décalage, une dissonance ? Puis, pour chaque écart constaté, imaginez un tout petit pas – un seul – qui pourrait vous rapprocher de cet accord intérieur.

La neuroplasticité du sens

Vivre avec un sens clair reconfigure progressivement votre cerveau. Après six semaines d'alignement intentionnel, vous remarquerez :

  • Une diminution de l'anxiété existentielle (moins d'activation de l'amygdale)
  • Une augmentation de la motivation intrinsèque (plus de dopamine baseline)
  • Une meilleure résilience face aux difficultés (régulation préfrontale renforcée)
  • Un sentiment accru de cohérence et d'intégrité personnelle

Le sens n'élimine pas les défis de la vie – il les rend navigables. Vous cessez de vous demander « Pourquoi moi ? » et commencez à demander « Comment honorer au mieux le fait d’être qui je suis et en vie ? »

Le sens comme orientation

Précision importante : votre raison d'être ne se limite pas à votre métier ou à comment les autres vous perçoivent. Certains la trouvent dans leur travail, d'autres dans un engagement associatif, une pratique créative, une cause qui les anime. Le sens peut aussi se nicher dans la présence que vous offrez comme parent, la fidélité que vous incarnez comme ami, l'attention que vous portez au monde qui vous entoure, à donner un tout petit peu plus de prière, de compassion ou de paix dans ce monde.

Aujourd'hui, posez-vous ces questions : « Qu'est-ce qui compte le plus pour moi ? Quelle aspiration profonde est-ce que je sens en moi pour me réaliser et honorer qui je suis ? Comment puis-je répondre à cette invitation à accomplir pleinement que je porte en moi ? »

Et laissez les réponses émerger – non pas de votre tête, mais de votre être tout entier.

Références

Frankl, V. E. (2021). Dire oui à la vie malgré tout (A. Batthyany, Éd.). Leduc. (Œuvre originale publiée en 1946 sous forme de conférences). (Correspond à Man's Search for Meaning, avec une édition posthume récente en français intégrant des éléments classiques sur le sens dans la souffrance.)

Frankl, V. E. (2022). Retrouver le sens de la vie (G.-E. Sarfati, Trad.). InterEditions. (Compilation centrée sur la logothérapie et la "volonté de sens", correspondant à The Will to Meaning et des textes théoriques/cliniques étendus.)

Fredrickson, B. L., Cohn, M. A., Coffey, K. A., Pek, J., & Finkel, S. M. (2008). Open hearts build lives: Positive emotions, induced through loving-kindness meditation, build consequential personal resources. Journal of Personality and Social Psychology, 95(5), 1045–1062.

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Newberg, A. B., & Waldman, M. R. (2009). How God changes your brain: Breakthrough findings from a leading neuroscientist. Ballantine Books.

Newberg, A. B., & Waldman, M. R. (2010). Why we believe what we believe: Uncovering our biological need for meaning, spirituality, and truth. Free Press.  

Newberg, A. B., & Waldman, M. R. (2018). A neurotheological approach to spiritual awakening. International Journal of Transpersonal Studies, 37(1), 1–14.

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